Les Corons
Les tots d’eun’couleur putôt terne,
Aux bords, pa l’temps, usés, rognés
Les vieux corons sont alignés
Tout comm’les cambus’s d’eun’caserne.
Un minc’ mur sépar’ les visins,
Etouff’ mal el bruit des disputes…
All’s s’arsann’nt tertous, les cahutes,
Vu’s d’in déhors si bin qu’in d’dins
Jules MOUSSERON
Les vieux Corons (extrait)
D’après le dictionnaire Robert, le mot « coron » date du début du XIIIe siècle. Il est dérivé de l’ancien français « cor », « corn » (extrémité, coin). Coron a pris, dans le nord de la France et en Belgique le sens de « bout restant d’une étoffe » puis, partant, de « bout d’une rue », de « quartier ouvrier d’une localité industrielle » parce que ces quartiers sont situés en bout de rue, hors de l’agglomération. Les sens des « maisons d’habitation de mineurs » «(1877) et, collectivement, « groupe de maisons de mineurs » se sont répandus en français général par l’intermédiaire du roman de ZOLA Germinal (1885).
Les premiers corons étaient formés de longues files parallèles de bâtiments tel le Coron des Quatre-vingt-huit à Anzin ou le Coron des Soixante-douze à Saint-Waast près de Valenciennes, ces appellations représentant le nombre de logements dans chacun d’eux.
Au moment de la découverte du charbon de terre en 1720, à Fresnes-sur-Escaut, ces habitations ouvrières n’existaient pas. Les mineurs vivaient dans des maisons n’appartenant pas forcément aux compagnies minières, ou louaient une chambre chez l’habitant. Les frontaliers retournaient chez eux, en Belgique, après le travail. Certaines maisons étaient regroupées, comme celles qui se trouvaient en face du Château des Douaniers et qui furent détruites au milieu du XXe siècle.
Au fur et à mesure que l’industrie minière prenait de l’importance, le problème de la main-d’œuvre devint crucial, l’exploitation de la mine reposant essentiellement sur le travail des hommes. L’ouverture d’un puits de mine s’accompagnait toujours d’une forte concentration de population. Les fosses s’installaient en zone rurale, comme ce fut le cas à Fresnes, entraînant un glissement de la population vers la mine, où les salaires étaient plus élevés que dans les exploitations agricoles.
Quand les étrangers, surtout les Belges (on en comptait 21% en 1886 dans les exploitations minières du Nord), vinrent grossir les rangs des mineurs locaux, les compagnies minières commencèrent à rencontrer des difficultés pour loger leur personnel. Elles bâtirent alors des cités que l’on appela corons. La construction de ces corons n’était pas anodine. Certes, elle permettait de loger la main-d’œuvre, mais elle constituait surtout un moyen sûr de fixer les mineurs au pied des puits. Les premiers corons furent donc construits près des fosses, sans souci d’urbanisme. Le logement était le prolongement de l’entreprise et il permettait de disposer rapidement des hommes en cas de nécessité, d’interventions urgentes, comme les inondations et les éboulements dans les galeries, ou encore lors de coups de grisou*. Peu à peu, les compagnies minières modifièrent leur façon de faire. Elles bâtirent les corons en des lieux parfois éloignés de quelques kilomètres des fosses et des villages. C’est ainsi qu’apparurent, dans la campagne, des files de constructions parallèles, séparées paru une voie étroite. La direction des mines abandonna l’idée de garder les mineurs à proximité du lieu de production. Elle pensa qu’il valait mieux conserver une structure rurales aux habitations ouvrières pour développer, par exemple, la pratique du jardinage mais surtout pour éloigner les habitants des corons des multiplies cabarets et salles de réunion qui se trouvaient dans les agglomérations. EN cas de grèves ou de conflits sociaux, l’encerclement du coron par les forces de l’ordre était facilité. L’emplacement pour la pose de barres et de chaînes était même prévu à l’entrée des allées, de manière à canaliser les gens.
Avant 1850, les corons étaient formés de logements contigus, disposés en rangs d’oignons, car cette façon de procéder entraînait un moindre coût de construction. Les affaissements, dus à l’exploitation de la houille, étaient souvent responsables des dégradations dans ces barres parallèles. Plus tard, tout en respectant le parallélisme, on apporta une modification à la conception des bâtiments qui s’élevèrent par groupes de six, huit ou dix. Par exemple, le Coron Jean Bart à Denain, était formé de plusieurs groupes de dix logements qu’on appelait les Dizaines et qui étaient séparés par d’étroits passages. Sur un plan de Fresnes datant de 1876 apparait une série de 11 pavillons de quatre logements qui constituaient la Cité Soult et dont subsistent encore quelques pavillons souvent murés.
Dans les corons en files, les habitations se faisaient face ou étaient disposées dos à dos. Bien souvent, il existait un ruisseau central dans l’allée principale. Chaque logement disposait d’un petit jardin potager et d’une dépendance, « le carin » ou « l’étole » où l’on remisait les outils, la « cuvelle à lessive » etc…Les lieux d’aisance étaient situés à l’extérieur. Initialement, un puits commun procurait l’eau aux habitants ; il fut remplacé au XXe siècle par des pompes en fonte qui fonctionnaient à l’aide d’une manivelle placée au sommet. La poussière qui envahissait le coron l’été faisait place à la boue, l’hiver, car la voie centrale était de terre battue ou de remblais constitués par les « tierres ed fosses » (terres de fosse). A l’origine, certaines parties communes (les cabinets, la pompe à eau, le four à pain) étaient disposés en bout de file de dix logements. Cette situation s’améliora avec l’installation de l’eau potable et de l’électricité. Un peu à l’écart du coron se trouvaient les maisons des chefs, porions et chefs-porions : c’étaient des habitations individuelles et confortables. Ingénieurs et directeurs résidaient en ville ou dans une localité voisine.
On trouvait dans les corons une concentration humaine faite de gens exerçant le même métier et ayant souvent la même nationalité. C’était le cas à Fresnes dans la Cité Polonaise et dans la Cité Hardy (du nom de M. HARDY, ingénieur des mines).
Les Polonais, pour des raisons économiques et politiques, s’exilèrent vers la France et certains d’entre eux arrivèrent à Fresnes. Après les ravages causés par la guerre de 1914-1918, beaucoup d’hommes étaient morts au combat. Il fallut faire appel à une main d’œuvre étrangère pour relancer la production. Les compagnies minières envoyèrent en Pologne avec l’accord du gouvernement français, des émissaires chargés de recruter du personnel. Des trains entiers arrivèrent de Silésie, de Poméranie, et de la région de Poznań, de Cracovie, de Varsovie.
De 1923 à 1926, les registres d’immatriculation des étrangers à Fresnes recensent 187 Polonais : mineurs, journaliers, journalières, manœuvres, ouvriers agricoles, ménagères, servantes, marchandes, employé ou sans profession. Les femmes furent les plus nombreuses : 49 étaient journalières, 50 d’entre elles étaient célibataires.
Parmi les 53 hommes, 26 étaient célibataires, 18 mariés avec 25 enfants (leurs 18 épouses portaient à 84 le nombre de femmes), 2 étaient veufs, 6 avaient laissé leur famille en Pologne, l’un d’eux était venu accompagner de son père et de sa mère.
Elle a été réhabilitée il y a quelques années par la SOGINORPA* devenue depuis EPINORPA. Elle s’appelle aujourd’hui résidence Molière.
Des instituteurs, des curés vinrent de Pologne pur aider leurs compatriotes à supporter l’exil.
Ceux-ci créèrent des sociétés sportives, culturelles, religieuses. Des boulangers, des bouchers, des cordonniers, des tailleurs s’installèrent à proximité des cités. Ils ne parlaient que leur langue. De ce fait, l’intégration de cette génération fut lente. Ils gardèrent leurs habitudes pour préparer les repas, laver le linge. La plupart d’entre eux cultivaient un grand jardin et élevaient des volailles, surtout des oies, pour récupérer le duvet destiné à la confection de confortables édredons.
Aujourd’hui, l’intégration est réussie, les descendants de ces Polonais exilés sont médecins, professeurs, hommes politiques, hommes de loi, sportifs de renom, artistes, etc…
Dès l’arrivée de ces émigrants, on construisit à la hâte des baraquements qui formaient de véritables ghettos. A Fresnes, la première cité construite en matériaux traditionnels fut la Cité Polonaise, en 1924(photo ci-dessus), où on logea prioritairement les femmes, mariées ou célibataires. Cela donne à penser que les journalières dont nous avons parlé travaillaient à la mine.
Grâce aux corons, les compagnies minières pouvaient exercer un contrôle rigoureux sur leurs employés. Le fait d’occuper une maison de coron était ressenti par le mineur comme une promotion sociale, alors que ce n’était qu’un assujettissement à ses employeurs car, dès que le locataire quittait la fosse, il perdait immédiatement son logement. L’habitat minier était, à l’époque, plus confortable que l’habitat rural traditionnel, d’où cette impression de privilège ressentie par le mineur, d’autant plus que le loyer était très modéré. Au début du XXe siècle, les « carbonniers » étaient satisfaits de leurs conditions de logement, même ceux, et c’était souvent le cas, qui avaient une famille nombreuse.
La cuisine était la pièce principale de l’habitation. Au centre trônait une table rectangulaire avec son tiroir à couverts. Le mobilier était restreint : un buffet bas à deux portes (la drêche), quelques chaises paillées, une étagère (l’archelle) servant étalement de barre à pots et souvent taillée par le mineur lui-même. Le poêle, haut sur pattes (appelé feu flamand), avec son pot en fonte noirci et brillant, ronflait en toutes saisons. Le carrelage, souvent en carreaux rouges et jaunes, était parfois recouvert d’une carpette en roseaux tressés, bordée d’une rayure rouge ou verte, que venaient vendre à bon compte des marchands ambulants du Cambrésis. Parfois, sur le manteau de la cheminée, la couronne de mariée aux fleurs de cire reposait sous un globe ainsi que le réveille-matin à deux cloches et le gros moulin à café. Accrochés aux murs chaulés, quelques photographies de première communion, parfois un diplôme de certificat d’études ou d’appartenance à une société locale, un portrait d’homme politique, amenaient une note colorée. Près de la porte d’entrée, un seau rempli d’eau et une timbale en fer blanc (le pochon) permettaient de se désaltérer.
Dans les chambres exiguës, les lits haut perchés étaient parfois équipés, comble du luxe, d’un matelas de laine. Ce matelas représentait une fantaisie coûteuse puisqu’il valait 105 f en 1900, ce qui équivalait à un salaire mensuel moyen. Le plus souvent, on dormait sur du crin ou de l’austère (espèce de varech). Les oreillers étaient remplis de plumes ou de balle d’avoine. La garde-robe était le meuble le plus important : elle refermait les vêtements de toute la famille, protégés par les « boules à mites » à l’odeur caractéristique.
Vers 1905, dans les villes minières, la Compagnies d’Anzin ouvrit pour les filles des écoles religieuses : écoles ménagères et ouvroirs pour préparer les jeunes filles à leur rôle de futures épouses. Elle construisit également un certain nombre d’églises (comme celle de Thiers). Certains instituteurs et des prêtres étaient rémunérés par elle. Les activités sportives n’étaient pas oubliées ; des salles de sport, des salles des fêtes furent édifiées avec les deniers de la Compagnies, qui fonda également des sociétés de musique, des fanfares, des harmonies, des sociétés de gymnastique qui participaient aux nombreuses fêtes. Des cours d’horticulture permettaient aux mineurs de mieux cultiver leurs jardins. Toutes ces largesses n’étaient pas désintéressées : elles occupaient les loisirs des travailleurs et limitaient ainsi les réunions syndicales et politiques, dont les responsables étaient souvent des tenanciers d’estaminets
La compagnie d’Anzin, en accord avec les sociétés de caisses de secours, assurait aussi le service médical et pharmaceutique. Elle créa des salles de consultation que les mineurs appelaient « chambres ». Médecins et infirmières émargeaient au budget de la Compagnie. Dans toutes les fosses, on installa des postes de secours pour donner les premiers soins aux blessés. Une clinique de cent lits fut installée à Saint-Waast : la clinique Président Tessier destinée à soigner les ouvriers et leurs familles. A Somain, on ouvrit un centre d’ophtalmologie et à Valenciennes, un centre d’oto-rhino-laryngologie.
Tous ces avantages étaient l’apanage des mineurs. Il fallut attendre de nombreuses années pour que le reste du monde ouvrier pût bénéficier d’un régime social à peu près équivalent.*
En même temps que le Polonais, des Italiens vinrent également travailler dans les mines et quelques familles se fixèrent à Fresnes.
Dans les années 1950, des Marocains complétèrent à nouveau l’effectif des « gueules noires ». Ces hommes, logés dans des baraquements, par groupe de quatre ou six, situés près du puits n°2 de la fosse Soult, connurent les mêmes problèmes d’intégration que les autres travailleurs étrangers.
Sources :
. Coups de Pic, coups de Plume.
. Emile Pécou
. Ouvrage de Madame Woljewski sur les immigrés
. Le Nord du XXe siècle-Pierre Pierrard.
LEXIQUES :
Grisou : Mot wallon correspondant au français grégeois. Gaz naturel qui se dégage des gisements de houille et des marais : c’est le méthane
SOGINORPA (acronyme) : Société de Gestion Immobilière du Nord-Pas-de-Calais